par Bernard PODEVIN, titulaire de l'orgue de la Cathédrale de Sarlat
Les deux inventaires des orgues de Dordogne, le premier, publié en 1988 par l’ADAMA et EDISUD, l’autre « Panorama des orgues de Dordogne » édité par l’ADAM 24 sous le contrôle de F. Chapelet, vers la fin de 2005 ou 2006, ne donnent que peu d’indications historiques sur les orgues de l’église de Belvès. On y lit :
« Probablement construit au début du 19° l’orgue de Belvès a été relevé au début du 20°, puis « bricolé » vers 1970. En 1986, le facteur G. Grenzig l’a repris le portant à 22 jeux dont 8 neufs sur deux claviers et pédalier ».
Le buffet en chêne massif semble très classique dans son ordonnance d’époque XVIII°, présentant trois tourelles encadrant deux plates-faces. Sur les tourelles latérales étaient des angelots et au sommet de la tourelle centrale une vierge (malheureusement en plâtre...) Les culots des tourelles sont décorés de feuilles d’acanthe. Détail intéressant : une frise, au bas des deux plates-faces du buffet porte dans un décor floral les lettres « Gadault de Paris ». L’instrument a été inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques le 27 septembre 1948.
L’église de Belvès a été rendue au culte après le Concordat et le curé J.B. Gamot, nommé en 1803, entreprend, à partir de 1820, de grands travaux à l’intérieur de l’église – peintures notamment dont on trouve encore la marque sur le premier arc de la nef. Une tribune d’orgue est édifiée vers 1821. Le curé Gamot quitte Belvès en 1822, il est remplacé par J. Jos. Reverdy de Cogniel. (1822-1859)
Dans les registres du Conseil de Fabrique, on trouve le compte-rendu de la réunion du 18 avril 1852 au cours de la quelle : « Le curé a exposé le désir que l’église de Belvès fut pourvue d’un jeu d’orgue ; que la fabrique avait fait jusqu’à ce jour les sacrifices ... pour orner cette église de tous les objets nécessaires à l’exercice du culte de la manière la plus digne de la solennité à laquelle ils s’appliquent. Qu’il ne lui manque plus que les orgues qu’il réclame au conseil ».
Le conseil... reconnaissant le zèle de monsieur curé pour le bien de son église, il donne la confiance à ce digne ecclésiastique, le chargeant de se le procurer aux prix et conditions qu’il jugera à propos... »
Le 8 août 1854, le Conseil engage M. Onaphre Laporte, organiste domicilié à St Cyprien, par traité et convention. « M. Laporte s’oblige à jouer de l’orgue établi dans l’église paroissiale de la ville de Belvès tous les dimanches et jours de fêtes... à la grand-messe et aux vêpres... et aux solennités établies par l’ordre de l’autorité administrative... Dans la soirée pendant tout le cours du mois de mai chaque année... les soirs des fêtes de Pâques, de Pentecôte et de la Noël, le lundi et le Mardi-gras et le jour de Notre Dame de septembre.” Par la même convention la fabrique s’engage à lui payer annuellement 350 francs, payables par trimestre « à partir du 1er octobre prochain »
L’orgue est peut-être déjà en place, car le registre, en date du 25 septembre 1854, rappelle la délibération du 18 avril 1852 « qui autorisa M. Cogniel, curé de cette ville, à faire l’acquisition d’un orgue pour l’église de Belvès ». La suite du compte rendu de la réunion nous donne plus d’indications
« M. le curé a fait cette acquisition de M. Charles Jean-Baptiste Gadaud, facteur d’orgues à Paris. M. Gadaud l’a fait livrer et placer ; des experts désignés à cet effet, ont reconnu cet orgue comme ayant le fini et la perfection désirables, et la fabrique l’a accepté.”
A cette réunion, M. Gadaud est présent, il cosignera le registre, qui rapporte les conventions entre le facteur, le curé et le conseil. Ainsi nous savons que d’une part, « Le prix de cet instrument est fixé à sept mille deux cents francs », d’autre part que le curé Cogniel verse à M. Gadaud 1200 francs et que le reste 6000 francs sera payé par tranches de 1000 F « tous les six mois jusqu’au solde... » par le curé, la Fabrique s’engageant à le rembourser à mesure de ses ressources.
« M. Gadaud déclare répondre de la bonne construction de ses travaux pendant l’espace de vingt ans ».
C’est un orgue neuf, d’esthétique XIX°, que la maison Gadaud construit à Belvès et non un instrument récupéré après la Révolution dans l’église des Pénitents Blancs de Belvès.
Le nom de Gadaud, inscrit sur la frise décorée au-dessus du soubassement de l’orgue de Belvès, comme sur celui du Collège des Jésuites, rue de Vaugirard à Paris, qu’il construit en 1830, n’est pas inconnu dans la facture d’orgue au XIX°. Jean-Baptiste, le père, est signalé comme facteur d’orgues et de serinettes en 1822 à Paris. Il travaille à Toucy dans l’Yonne en 1823, à Ligné le Chatel en 1829-1830. En 1839, il répare l’orgue de St Etienne de Rennes. Il installera une annexe à Rouen. Après le déménagement de son atelier principal au 118 rue de Ménilmontant en 1840, il restaure l’orgue de Gourdon en 1841, St Aignant de Chartres en 1842, Coutances en 1843. La manufacture avait sans doute une assez bonne réputation car elle obtient une médaille de bronze en 1849 et une médaille d’honneur en 1855. Il meurt au cours du grand chantier de reconstruction de l’orgue de la cathédrale de Chartres débuté en 1845. L’entreprise est reprise sous la responsabilité de sa veuve par son fils Charles âgé de 17 ans ; c’est lui qui reconstruira en 1852 l’orgue de St Louis des Invalides à Paris, un instrument de 40 jeux.
L’atelier travaille entre autres sur des orgues importants : Ecouen 1849, St Rémy de Troyes en 1853, Chartres 1858, Paris, Auxy-le-Château 1862, St Nicolas de Troyes en 1869, Caudebec-en-Caux 1878, Noyon 1879...
Quel a été le destin de l’instrument de Belvès, dans quel état se trouvait-il à la fin du XIX° pour que le curé suivant, M. Dambier (1859 – 1988) propose dans la session de Quasimodo (11 avril 1885) du Conseil de fabrique « l’acquisition d’un grand-orgue, offert à des conditions avantageuses pour la fabrique ». Ce projet n’eut pas de suite « à cause de l’insuffisance des ressources de la fabrique ».
On n’a pas reconstitué la liste complète des organistes qui ont touché l’instrument depuis sa construction, mais en 1939, le compositeur Louis Aubert, membre de l’Institut de France, « choisit avec les siens comme refuge la petite cité de Belvès ». Il y séjournera régulièrement par la suite et « ...le dimanche à l’église, les orgues de la cité, sous les doigts du compositeur, à la fin de sa vie, diffusent dans la grande nef l’espérance ». Le maire de l’époque, M. Biraben, l’honorera même, en 1956, du titre de citoyen d’honneur.
On lit dans différents textes que cet orgue a été « bricolé » – par qui et comment ? – à la fin du XIX° siècle. Un titulaire dans une description (non datée ni signée) de l’instrument le trouve de composition limitée et dans un état général « assez mauvais » : une soufflerie vétuste et bruyante, une mécanique dure, un son voilé par la poussière accumulée, des tuyaux brisés, abîmés, faux ou muets. L’orgue se compose alors de deux claviers, un grand-orgue de 54 notes, (C1 –F5) un récit expressif de 37 notes (F2 – F 5) et un pédalier de 18 marches relié aux basses du grand-orgue.
L’orgue aurait été Retouché dans les années 1970 mais on n’en a pas de trace écrite.
Sous l’impulsion de Jean-Michel Bloch qui en est alors le titulaire, est créée une association « Les amis de l’orgue de l’église N.D. de Belvès ». Elle est déclarée à la sous préfecture de Sarlat le 28 avril 1980 avec pour objet : « la restauration, l’entretien et la mise en valeur de l’orgue de l’église N.D. de Belvès dans le cadre de la liturgie, de concerts spirituels et dans un esprit culturel » La même année est créé le Festival Bach qui se poursuit actuellement avec pour directeur artistique P. Laborde.
Les efforts des membres de cette association, soutenus par le délégué régional à la musique B. Lummeaux, la municipalité, l’ADAM 24 dirigée par G. Schneller, porteront leurs fruits. Après avoir demandé en mai 1980 un devis aux facteurs associés J.L. Boisseau et B. Cattiaux installés à Béthines, qui ne sera pas retenu, le devis présenté par G. Grenzig3, établi à Papiol près de Barcelone, est accepté par délibération du conseil municipal en date du 29 septembre 1984 pour un montant de 294.664 F au 31 décembre de la même année. On parvient ainsi à une première restauration qui est effectuée en 1986 par le facteur G. Grenzig. Avec F. Chapelet comme conseiller technique, le facteur révisera la mécanique, réparera les jeux abîmés, et complètera l’instrument. Grand-orgue de 54 notes et 11 jeux ; récit de 37 notes et 7 jeux, pédalier de 30 notes et 4 jeux. Tremblant doux au récit, tirasse GO, accouplement des claviers en tiroir. Sur l’ensemble des jeux, 14 sont d’origine et 8 ont été ajoutés par G. Grenzig.
C’est F. Chapelet lui-même qui inaugurera ce travail le jeudi 28 mai 1987 après la présentation de Jean Loubière maire et conseiller Général, et la bénédiction par Mgr J. Briquet, Vicaire Général du diocèse de Périgueux et Sarlat et J. Danède curé de la paroisse. S’en suivront une série de concerts donnés par le titulaire J.M. Bloch et des organistes de réputation internationale parmi lesquels on retient : D. Hataway (Cleveland USA) 13 août 1987, Michel Bouvard le 17 août 1988, F.H. Houbard 1989, G. Marissal 1991, Ch. Mouyen 1992, Ch. Robert 1996, Rhoda Scott 97 et 2002, Marie-Claire Alain 1999, T. Koopman 1999, A. Isoir 1999 et2002, J.P. Lecot 2006, Philippe Lefebvre 2000 et 2001, Jûrgen Essl 2001...
Toutefois, l’instrument a de nouveau besoin d’une révision et d’un relevage importants ; en outre, la tribune, vibre et ne permet pas de maintenir l’accord En juillet 2004, avec J.M. Bloch et l’Abbé Michel Graziani, curé de l’époque, l’Association des amis de l’orgue reprend le dossier, à la fois pour maintenir et entretenir cet orgue, et aussi pour lui donner un vrai troisième clavier. L’usage de l’instrument est varié : la liturgie, la formation, l’accueil des organistes de passage, les concerts et en particulier le Festival Bach qui fonctionne depuis 1986 (plus de 18 ans). Tout ceci attire à Belvès de nombreux amateurs.
On imagine même que, doté d’un positif de dos, une composition plus complète permettrait d’aborder un répertoire plus vaste, de la musique française à celle de nos jours en passant par les incontournables grandes œuvres de Bach et des compositeurs du XIX° siècle.
C’est cet instrument de 1986-87 que reprennent B. Cattiaux et ses compagnons pour une grande restauration du buffet, de la mécanique et de la partie musicale avec construction à neuf du positif de dos qui ajoute un troisième clavier aux deux déjà existants.
Sources :
- Registre du Conseil de fabrique
- Description de l’orgue de N.D. de Belvès par son titulaire (ni nom, ni date)
- Orgues de l’église N.D. de Belvès par le Père Ph. Bachet
- Devis de 1980 J.L. Boisseau et B. Cattiaux
- Devis de G.Grenzig de 1984
- Association des amis de l’orgue de Belvès : L’orgue de l’église N.D. de Belvès – état actuel et perspectives
- Recherches diverses et sur Internet